Options financières, options réelles et gestion du risque

Dr Hassen RAIS

Les options réelles, outil développé par le management moderne par analogie avec les options financières, offrent de très larges possibilités de gestion de la flexibilité et des risques de manière générale. Cette approche reste néanmoins peu utilisée faute de communication et de formation.
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Une option financière, est un titre qui donne le droit, mais non l’obligation, à un paiement futur, positif ou négatif, fondé sur la valeur d’un actif sous-jacent (matière première, indice, titres, etc.). Les options financières sont très importantes, car ils permettent de bâtir des portefeuilles de pratiquement n’importe quel profil de rendements, ce qui permet aux investisseurs de s’adapter à toute situation du marché, aussi complexe soit-elle et ainsi gérer les risques financiers auxquels ils font face. Par exemple ; si l’on possède beaucoup d’actions et que l’on craint un crash boursier imminent, une bonne stratégie consiste à acheter des options de vente à un cours inférieur au marché. Le risque baissier est ainsi limité lorsqu’on prend une position longue.

 

Par analogie avec les options financières, la science de gestion a développé les options réelles. L’approche des options réelles utilise les techniques et méthodologies de la finance, cependant, alors que la finance s’intéresse surtout à l’évaluation et à la tarification des instruments financiers, les options réelles se focalisent sur l’analyse et l’optimisation de la décision. Ainsi, un projet réel implique l’option, mais non l’obligation, de dépenser des ressources dans le futur afin d’obtenir un actif (une usine fonctionnelle) dont la valeur est en principe stochastique. Si le prix du produit fabriqué par l’usine projetée n’évolue pas de façon favorable ou si l’on s’aperçoit que les coûts d’opération seront trop élevés, alors il vaut mieux ne pas procéder, ne pas s’engager dans la nième étape, ou encore ne pas exercer l’option de construction de l’usine. Cette approche représente un changement important dans la gestion stratégique mais demeure relativement peu connue malgré́ son adoption par des entreprises telles que Airbus, GE, Hewlett Packard, Intel, Toshiba, etc.

 

Les méthodes utilisées pour les options réelles utilisent toutes les mathématiques de la finance. Mais les techniques financières standards ne peuvent pas toujours être appliquées dans le contexte des options réelles. Les raisons les plus courantes sont que les risques du monde réel ne peuvent pas toujours être reproduits par les instruments du marché si bien que les méthodes d’équilibre telles que la méthode de Black & Scholes ne sont pas valides. Les données sur les actifs sous-jacents (valeur du projet) ne sont pas disponibles sous une forme aussi pratique que pour les données financières ; l’identification des options disponibles nécessite souvent des analyses qui font appel à d’autres domaines de l’économie, ainsi qu’à d’autres disciplines en gestion, ingénierie, etc. Pour cette raison la gamme des procédures et techniques utilisées dans les options réelles est plus large que pour les options financières. Il est couramment fait recours aux arbres décisionnels avec optimisation des décisions aux différents nœuds, ou à la programmation dynamique stochastique, généralement appliquée avec du calcul numérique.

 

L’analyse doit souvent aller au-delà des données. Une analyse industrielle complète est nécessaire lorsque les décisions sont stratégiques, telles que la concurrence, la préemption, l’information asymétrique. L’évaluation d’un nouveau projet d’usine mènera à des conclusions différentes, toutes choses étant égales par ailleurs, lorsque la nouvelle usine est considérée de façon explicite comme un ajout à un portefeuille d’usines existantes, au niveau de l’entreprise elle-même ou au niveau du secteur.

 

Un bon plan stratégique est un plan qui construit des options réelles pour l’entreprise dans un avenir prévisible, et met en place un processus de prise de décision optimisé qui exploite ces options de manière fructueuse. Une fois de plus, les options réelles doivent être identifiées, construites et évaluées pour chaque étape du projet : les alliances, les fusions et acquisitions, les effets connexes, la restructuration organisationnelle, etc. Avec cette approche, la planification stratégique devient un exercice de gestion de la flexibilité. Les plans doivent spécifier les nœuds de décision, à des dates qui sont choisis de façon optimale en fonction du développement stochastique de l’environnement de l’entreprise. La préparation d’un plan stratégique n’est pas un exercice passif d’anticipation du futur ; c’est un exercice de façonnement du futur ou, plus précisément, un exercice de préparation des mécanismes par lesquels le futur se déploiera, en temps et lieux, à l’avantage des décideurs.

 

Telles que présentées, les options réelles, deviennent l’outil principal de gestion et d’évaluation de la flexibilité́ des actifs réels, et constituent vraisemblablement le plus important des outils de gestion des risques. Elles mettent l’accent sur des règles de gestion qui permettent d’éviter les évènements défavorables tout en saisissant les opportunités. Il s’ensuit que les projets risqués ont plus de valeur, mais requièrent également une prime avant d’être entrepris. Ceci ressemble beaucoup à ce qui s’applique en finance où les investisseurs font l’arbitrage entre risque et rendement espéré. Il y a cependant une différence importante : le gestionnaire d’un portefeuille financier est passif une fois établie la composition de son portefeuille ; au contraire, le gestionnaire d’un portefeuille réel doit appliquer des règles de gestion particulières pour concrétiser le potentiel des options réelles.

 

Par ailleurs, les gestionnaires du monde réel ont souvent à prendre des décisions où les bénéfices d’un projet sont bien connus, tandis que les coûts en sont incertains et volatils. Par exemple, si la question qui se pose en matière de changement climatique est celle du coût incertain d’éviter un changement donné de température, alors les options réelles indiquent qu’il faut appliquer le principe de précaution : adopter des projets de réduction des émissions dont la valeur espérée peut-être négative, pourvu qu’elle ne soit pas inférieure à un certain seuil. Dans ce genre de situation, l’incertitude n’a pas pour effet de retarder mais d’accélérer l’investissement. Il est d’autres situations où l’incertitude est favorable à l’investissement. Si un projet est très volatil, mais négativement corrélé avec d’autres projets détenus par la firme, alors celui-ci, en plus de la valeur qu’on trouve à ne l’entreprendre, tire de la valeur de la possibilité de s’en servir comme assurance au cas où les autres projets échoueraient. Ceci rappelle le Bêta des actifs financiers. De même qu’un titre dont le Bêta est négatif tire de la valeur du fait qu’il peut servir d’assurance contre les fluctuations des marchés financiers, une option réelle dont la valeur est négativement corrélée avec celle d’autres options tirent de la valeur de cette même propriété.

 

Enfin, le potentiel des options réelles en matière d’évaluation de projet, de gestion et de gestion du risque, ne sera réalisé que si les variables pertinentes (sources du risque, corrélations) sont bien identifiées et mesurées. Cela exige que les firmes se dotent des moyens nécessaires, comme elles l’ont fait pour exploiter la volatilité et le Bêta des titres financiers, à savoir de la communication et de la formation pour son management.

 

Dr RAIS Hassen
ESSCA. School of Management