Riscophile ou riscophobe ?

Dr Hassen RAIS

Riscophile ou riscophobe ? La perception du risque par le management est déterminante pour la bonne santé et la pérennité de l’entreprise, cette perception et l’évaluation des risques et de leurs stratégies de gestion n’est pas faite dans l’absolu, mais dans le cadre d’un référentiel. 
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Si on considère le risque comme une problématique centrale du management, il est important de comprendre le processus de décision dans un contexte économique qui par définition, est risqué et plein d’incertitudes. Selon Wiseman et al. (2000) « la manière d’appréhender le risque chez un décideur se construit à partir de sa propre appréciation (subjective) du contexte de la décision, en plus de toute information objective dont il peut disposer ».


Cette appréciation s’explique par la plus ou moins grande expérience du manager. Plus son expérience et sa réussite antérieure dans cette action précise sont importantes, plus il va estimer qu’il y a peu d’incertitude quant aux résultats potentiels associés, et plus le risque pris lui semblera raisonnable. Sa perception du risque est donc influencée par l’effet anticipé de son expérience sur la réduction du risque réel. L’effet de l’expérience est double. D’une part, elle diminue l’importance de la perte potentielle et/ou la probabilité de perte en augmentant la performance relative à l’exécution de l’activité concernée. D’autre part, elle améliore le processus de sélection par lequel l’acteur identifie parmi un ensemble d’actions possibles les actions risquées qui auront les plus grandes chances de réussite. Par le jeu de l’expérience, une action peut sembler plus raisonnable au manager, en réduisant la part de subjectivité dans sa perception du risque, même s’il n’y a pas d’effet concomitant sur le risque réel encouru.


Les psychologues se sont intéressés depuis de nombreuses années déjà à la compréhension des déterminants de la prise de risque. Ils estiment que des facteurs circonstanciels, tel que le contexte perçu, ont une influence prépondérante sur le comportement lié à la prise de risque. Un très bon exemple à l’appui d’une vision de la prise de risque contingente à la situation dans laquelle elle est prise, affiliée au second paradigme, est donné par l’aversion individuelle au risque.


D’un côté, on a montré que la plupart des individus sont réfractaires au risque – Riscophobe – dans des situations de gain, c’est-à-dire qu’ils préfèreront un gain certain (300 euros) à une option risquée (80 chances sur 100 de gagner 400 euros), et ce, même si la valeur attendue de l’option risquée est supérieure (80% x 400 € = 320 €). D’un autre côté, les décideurs ont également tendance à être preneurs de risque – Riscophile – dans des situations de perte, c’est-à-dire qu’ils préféreront une option risquée (80 chances sur 100 de perdre 400 euros) à une perte certaine (300 euros).


Les psychologues ont proposé diverses théories afin d’expliquer ces modifications du comportement face au risque dues à des différences de situation. La plus célèbre est sans aucun doute la théorie des perspectives, selon laquelle les décideurs évaluent les options risquées à travers le prisme d’un système de valeurs subjectif, caractérisé par la dépendance à une référence et l’aversion aux pertes. Pour l’essentiel, les individus sont censés coder les scénarios de sortie (ou résultats) relativement à un point de référence, tel que le statu quo, et vont ensuite les interpréter comme des pertes ou des gains. Cette théorie suggère que les individus peuvent modifier leurs points de référence, autrement dit, réviser leurs aspirations de telle sorte que leur comportement face au risque s’adapte en conséquence.


Les décideurs ajustent leur comportement relatif à la prise de risque, en mettant en balance leur situation actuelle et le niveau auquel ils aspirent. Lorsqu’ils perçoivent le contexte décisionnel de façon positive, les décideurs ont tendance à manifester de l’aversion au risque. Cela étant, le même individu peut fort bien modifier radicalement son comportement en décidant de prendre des risques. Il suffit simplement que sa perception du contexte décisionnel s’inverse et devienne négative, c’est-à-dire inférieure à un point de référence correspondant à son niveau d’aspiration.


Par conséquent, les individus ont tendance à éviter le risque dans des situations de gains afin de se prémunir contre d’éventuelles pertes, et ils deviennent preneurs de risque dans des situations de perte dans le but de combler le déficit subi.


Le même phénomène a pu être identifié concernant la prise de risque stratégique. Les managers indiquent en effet qu’ils prennent des risques lorsque leurs entreprises sont performantes. A quelques exceptions près, la littérature confirme largement une corrélation négative entre le risque et la performance. En d’autres termes, les firmes en difficulté ont tendance à prendre plus de risque, ce qui les conduit à une performance encore pire.


En conclusion, il est clairement établi que la gestion des risques de l’entreprise connait ces dernières années un développement exponentiel, et les spécialistes du risque orientent leurs efforts de recherche de façon à développer des instruments toujours plus précis pour l’évaluation du risque. Des outils d’aide à la décision comme la Corporate-Value-at-Risk ou Corporate-VaR sont très utile dans ce sens. En autorisant une prise de décision mieux informée, Les nouvelles approches de la gestion du risque aident le manager à atteindre ce qu’il estime être le profil de risque approprié, riscophile ou riscophobe, de l’entreprise et peuvent également accepter des projets plus risqués sans pour autant inclure une prime de risque suffisamment élevée pour compenser le supplément de coût associés à des choix risqués.


Dr RAÏS Hassen.
ESSCA, School of Management.

 

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